La fin de carrière professionnelle : une perspective sur les programmes américains

22 mars 2023

Remarques à l’inauguration de la Chaire universitaire Économie Sociale, Protection et Société de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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©Sylvain Larnicol

A tous les organisateurs, je vous félicite pour la réalisation de votre vision. Je suis ravie de participer à l’inauguration de cette chaire et honorée de vous faire quelques petites remarques.

La Chaire ESoPS s’inscrit à l’intersection de l’économie sociale et de la protection sociale. Les statuts de la Chaire expliquent que la protection sociale ne peut pas être pensée isolément, mais est au cœur de nombreuses politiques publiques. Il est nécessaire de considérer comment les entreprises et organismes du secteur de l’économie sociale et solidaire peuvent répondre aux besoins de protection des populations. Les statuts conclurent que les questions sont transversales et que nous devons y apporter des réponses intégratives.

Je trouve cet objectif très méritoire parce que la protection sociale est importante compte tenu des risques qui menacent le bien-être des individus. Pour illustrer ce thème, je prends comme exemple la fin de carrière professionnelle. Soyez assuré que mon but n’est pas de porter un jugement sur l’âge de retraite, un sujet si controversé en ce moment. Plutôt, je veux parler de la nécessité de la protection sociale durant la fin de carrière professionnelle et des politiques publiques qui soutiennent le travail aux âges avancés et la sécurité financière pendant la retraite. Je vous apporte une perspective américaine sur ce sujet, puisque je connais la politique américaine beaucoup mieux que la vôtre.

Dans un discours fameux, le Président américain Franklin Roosevelt a parlé des quatre libertés qui sont des droits humains : la liberté d’expression, la liberté de religion, l’abri de besoin, and l’abri de la peur. La protection sociale existe pour assurer ces libertés – surtout l’abri de besoin et de la peur – en protégeant les gens contre toute sorte de risques.

Il y a plusieurs risques graves qui menacent la fin de carrière et la retraite. Le premier est le risque de chômage, qui peut terminer une carrière plus tôt qu’anticipé. Aux États-Unis, les travailleurs qui perdent leur travail après l’âge de 50 ou 55 ans ont beaucoup de difficulté à trouver un nouveau travail et encore plus un nouveau travail avec le même salaire. Le deuxième risque est le risque d’incapacité ; comme le chômage, l’incapacité peut terminer une carrière plus tôt qu’anticipé. Le troisième risque est le risque de bas salaires pendant la carrière, qui empêche d’épargner en vue de la retraite. Le risque final est le risque de longue vie. Une longue vie est quelque chose à célébrer, mais si vous avez la chance de vivre jusqu’à 103 ans, comme mon beau-père qui est né pendant la pandémie de grippe espagnole et est mort seulement l’année dernière, vous aurez un très grand risque de dépenser tous vos biens avant la fin de votre vie.

Comment est-ce que les politiques publiques peuvent nous protéger contre ces risques ? Avec tant de risques, il ne suffit pas d’une politique unique, mais plutôt de plusieurs politiques publiques qui, marchant ensemble, apportent toutes le soutien nécessaire. Également, il faut les perspectives des économistes, sociologues, politologues, et juristes pour identifier les problèmes et trouver des solutions. Je vais illustrer ces idées en parlant toujours de la politique américaine.

Commençons avec le premier risque que j’ai identifié, le risque de chômage. La recherche montre que les travailleurs plus âgés qui perdent leur emploi ont plus de difficulté à trouver un nouveau travail que les travailleurs plus jeunes. Mes propres recherches démontrent que, si le climat macroéconomique dans les quelques années avant l’âge de retraite est mauvais, le bien-être pendant la retraite est touché. Il semblerait que les gens qui perdent leur travail prennent leurs pensions plus tôt, et donc reçoivent une pension plus petite et ont moins de revenus pendant la retraite. Il semblerait même qu’avoir des conditions macroéconomiques mauvaises vers la fin de carrière est associé à une mortalité élevée, à cause de la perte des salaires et de l’assurance santé, puisque chez nous l’assurance est typiquement liée au travail.

La discrimination fondée sur l’âge est une des explications des difficultés des personnes âgées dans le monde du travail.  Les psychologues ont montré l’existence de stéréotypes liés à l’âge, plus spécifiquement que les travailleurs âgés sont considérés comme moins compétents. Ce stéréotype existe malgré le manque de preuve que les travailleurs âgés sont moins productifs. Malheureusement, la discrimination fondée sur l’âge est réelle – des recherches utilisent des CVs fabriquées modifiant l’âge pour postuler un emploi et démontrent que les CVs qui indiquent un appliquant plus âgé reçoivent moins d’intérêt de la part des employeurs. Pour introduire une note d’optimisme, les recherches démontrent que les protections légales contre la discrimination fondée sur l’âge sont associées à une augmentation du recrutement de travailleurs âgés et une diminution de leur cessation d’emploi. Voilà un exemple concret de politique publique inclusive dans le cadre juridique aidant les populations vulnérables.

A part renforcer les protections légales, comment peut-on aider les travailleurs âgés sans emploi ? Cette question n’est pas facile à répondre. Il y a l’allocation de chômage, qui chez nous n’est pas généreuse. D’habitude les allocations sont payées pour un maximum de six mois et remplacent 40 pourcents du salaire en moyenne. Pendant la pandémie, notre Congress a augmenté l’allocation typique de $600 dollars par semaine et pour un an de plus, compte tenu des circonstances graves. Une augmentation des allocations de chômage plus permanente aiderait les travailleurs, mais risquerait de décourager la recherche de travail. Chez nous, il n’y a pas le goût pour des allocations plus généreuses.

Est-ce qu’un programme de formation professionnelle est la solution ? Ce n’est pas claire. En générale, les évaluations de ces programmes trouvent que l’augmentation de travail ou de salaire ne couvre pas toujours le coût du programme ; pour une personne plus âgée, c’est même moins certain, mais il y a un manque de recherche. Il me parait nécessaire de développer un programme ciblé et de l’évaluer avant d’éliminer cette possible solution.

J’ai déjà parlé des allocations de chômage pas très généreuses, alors il vous intéressera peut-être d’apprendre que les demandes et attributions pour nos prestations d’invalidité montent après une hausse de chômage. Une interprétation de ce fait est qu’il y a des gens qui malgré des conditions médicales, sont arrivés à travailler, peut-être avec l’assistance d’un employeur sympathique, mais après avoir perdu leur travail, ils ne réussissent pas à en trouver un autre et demandent les prestations dont ils ont le droit à cause de leur condition. Une interprétation plus négative est que le système d’invalidité sert de filet de sécurité générale à cause de l’allocation de chômage insuffisamment généreuse et, dans cette histoire, un examen médical pour les prestations d’invalidité ne déterminant pas effectivement quelles personnes peuvent ou ne peuvent pas travailler. Le fait que les gens qui ont perdu leur travail se tournent vers les prestations d’invalidité pour le soutien n’est pas idéal, à mon avis, mais ça montre qu’il faut considérer les politiques publiques ensemble pour avoir une perspective complète sur la protection sociale.

Je vous parle des prestations d’invalidité un moment de plus, pour vous expliquer que les demandes pour ces prestations ont culminé en 2010, quand nous souffrions encore des effets de la grande récession, et elles ont diminué pendant les années 2010 et encore plus pendant la pandémie. Cette tendance est un mystère puisque la santé de la population se dégrade pendant cette période. Il nous faut encore des recherches pour découvrir si notre système d’invalidité offre un soutien suffisant aux personnes handicapées.

On a parlé un peu déjà des risques de chômages et d’incapacité, alors parlons du risque de salaires bas qui empêche d’épargner en vue de la retraite. Chez nous, la pension publique remplace environ 40 pourcents du salaire moyenne. Notre Président Roosevelt dont j’ai déjà parlé a introduit notre système de pension publique, et il avait l’idée que la sécurité financière pendant la retraite devait être comme un tabouret à trois pattes – la pension publique, une pension d’employeur, et l’épargne privée. Mais chez nous, il n’y a que la moitié des travailleurs qui ont une pension d’employeur. C’est à l’employeur de configurer une pension. C’est important de se dire que les pensions d’employeur offrent des avantages fiscaux aux employés pour leurs propres contributions, même si l’employeur ne fait aucune contribution. Ma mère se trouvait dans la situation où son employeur n’avait pas de pension et elle demandait d’en établir pour avoir accès à ces avantages fiscaux.

Heureusement, il y a des options pour améliorer cette situation. Nous pouvons augmenter la pension publique pour qu’elle offre un soutien plus généreux. C’est vrai que ça parait une tâche difficile, puisque qu’il est prévu que nous n’aurons pas les ressources nécessaires pour payer les pensions déjà promises après 2033 sans reforme. Mais la proposition du Senator Bernie Sanders inclut une augmentation de $200 dollars par mois pour tout le monde et il y a beaucoup d’autres politiciens qui veulent augmenter la pension pour les travailleurs avec les plus bas salaires ; donc c’est possible. Une autre solution est offerte par l’expérience du Royaume Uni, qui a rendu obligatoire les pensions d’employeur, même dans les petites entreprises. Aux États-Unis, plusieurs de nos 50 Etats ont adopté ce programme, mais ce n’est pas encore un programme fédéral. Ça montre que chez nous, la protection sociale peut dépendre de l’endroit où vous vivez, puisque les Etats jouent un rôle important.

Je terminerai par parler du dernier risque que j’ai énuméré, le risque de longue vie. Ici il faut souligner la protection essentielle offerte par la pension publique, puisqu’il est payé pendant toute la vie, quel que soit sa durée. Mon beau-père que j’ai déjà mentionné, n’avait pas un seul dollar d’épargne privé qui lui restait à l’âge de 103 ans, mais il avait encore sa sécurité sociale. Et ma belle-mère, qui est toujours vivant à l’âge de 94 ans, habite dans une maison de soins payé par le gouvernement. Comme ça, ils ont tous les deux vécus dans la dignité durant toute leur longue vie bien que mon beau-père soit parti de l’école à l’âge de 14 ans et a travaillé comme plombier toute sa vie.

Avec ces petites remarques, je voudrais vous décrire la protection sociale qui protège des risques qui menacent la fin de carrière et la sécurité financière pendant la retraite aux États-Unis. La protection accordée par notre système est certainement incomplète, à cause d’un manque de volonté publique pour des prestations plus généreuses au niveau Fédérale et à cause du rôle important de l’employeur et des 50 États, ce qui fait que le degré de protection sociale dépend de pour qui vous travaillez et où vous habitez.

Il m’intéresse beaucoup que dans votre système, l’économie sociale et solidaire joue un rôle important dans la protection sociale. Chez moi, nous avons des organisations dans le « non-profit sector » qui peuvent avoir un impact très positif, mais je croix qu’ils ont un plus faible impact que l’économie sociale chez vous. J’attends avec grand intérêt les projets de cette nouvelle Chaire, qui vont m’enseigner beaucoup sur votre système, et beaucoup plus important encore, vont produire des informations qui peuvent aider les membres de l’économie sociale et les politiques à comprendre la façon de renforcer la protection sociale.

Je vous remercie de votre aimable attention.