Le virage domiciliaire suppose l’existence d’une offre suffisante de services d’aide à domicile. Vincent Vincentelli (Union nationale des aidants – Una) rappelle à cet égard les difficultés de ce secteur. Certes, d’importants moyens financiers supplémentaires ont été récemment déployés pour renforcer les services d’aide à domicile et accompagner le virage domiciliaire, permettant notamment de généraliser le modèle des services prodiguant à la fois de l’aide et du soin, et de revoir à la hausse les salaires et les tarifs de financement. Cela étant, les modes de financement et de gouvernance du système demeurent inadaptés : comment expliquer que les tarifs horaires aient pu jusqu’ici s’échelonner entre 16 € et 25 € selon le département ? On connaît par ailleurs très bien les montants dépensés au titre de l’APA, mais on connaît mal les services que l’APA permet de financer. La coexistence, depuis la loi Borloo sur les services à la personne, de services d’aide à domicile soumis à un tarif réglementaire et d’organismes de services à la personne dépourvus de telles contraintes, interroge. Aujourd’hui on ne connaît pas les tarifs effectifs des services d’aide à la personne, qui peuvent pratiquer des dépassements. D’un point de vue quantitatif, la difficulté sur laquelle butent les services d’aide à domicile est le taux d’encadrement, nécessairement de 1 pour 1 à domicile, ce qui génère des besoins importants : aujourd’hui il manque 25 000 intervenants, mais cela va s’aggraver si l’on s’oriente vers un virage domiciliaire qui suppose le maintien à domicile de personnes en perte d’autonomie plus forte qu’aujourd’hui.
La fusion des services d’aide à domicile (SAD) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) est quant à elle de nature à faciliter l’organisation de la prise en charge à domicile de personnes davantage dépendantes. Néanmoins, comme le souligne Karine Pérès, le médecin traitant joue un rôle pivot dans la coordination de la prise en charge. Cependant, des personnes davantage dépendantes ne pourront pas se rendre au cabinet de leur médecin et, dans le même temps, la proportion de médecins se déplaçant au domicile chute.
Laure de la Bretèche (Caisse des Dépôts et présidente d’Arpavie) s’avoue mal à l’aise avec la notion de virage domiciliaire, potentiellement déceptive si la promesse ne peut être tenue. Il faut dépasser la binarité de l’opposition entre désir de domicile et condamnation de l’Ehpad qui est anxiogène, et pour ce faire mobiliser les solutions existantes. Il a longtemps existé une offre abondante de logements-foyers – généralement appelés maisons de retraite – développée par les collectivités locales et quelques associations. La création des Ehpad, avec une offre médicalisée, a injustement disqualifié les logements-foyers, pris en étau entre les services d’aide à domicile et les Ehpad. Il reste toutefois encore quelques 2 300 logements-foyers maintenant appelés résidences autonomie. En mesure d’accueillir quelques 10 à 15 % de GIR 1 et 2, ils se distinguent nettement des résidences services seniors qui visent des CSP+ et ne sont pas médicalisés. L’offre des résidences autonomie est assez adaptée à une population modérément dépendante aux revenus moyens voire faibles. L’habitat inclusif est également une solution à développer pour dépasser l’alternative domicile / Ehpad : l’obstacle qui reste à lever est celui du financement des espaces partagés – les bailleurs sociaux étant en l’état actuel réticents à mobiliser des logements sans compensation financière. La création de l’allocation de vie partagée peut permettre de résoudre cette difficulté. L’habitat inclusif peut permettre de détecter en amont les signaux faibles de fragilité annonciateurs d’une intensification de la perte d’autonomie. Une personne isolée, seule chez elle, est probablement plus en danger que dans un collectif : pourquoi ne pas envisager d’accueillir jusqu’à 20 % de GIR 1 et 2 en résidence autonomie ? Les expérimentations menées chez Arpavie montrent que l’on peut mieux détecter les fragilités, et ainsi éviter des hospitalisations : les médecins, parfois sceptiques initialement, ont été convaincus par les résultats des expérimentations. La généralisation des forfaits soins dans les résidences autonomie est une piste à creuser pour généraliser ces expérimentations.
La question du coût est évidemment au cœur de ces questions. Schématiquement, si l’on appréhende la globalité des coûts de prise en charge de la dépendance (et pas seulement les coûts pour les finances publiques), malgré la difficulté à évaluer les coûts de la prise en charge informelle, la prise en charge des GIR 3 et 4 est toujours plus coûteuse en Ehpad qu’à domicile, indique Roméo Fontaine. C’est l’inverse pour les GIR 1, tandis que les coûts sont comparables pour les GIR 2. Mais l’enchevêtrement des logiques de financements publics, à domicile comme en Ehpad, rend le système peu lisible.
Retrouvez la retranscription détaillée des échanges entre Vanessa Wisnia-Weill, Karine Pérès, Romeo Fontaine, Vincent Vincentelli et Laure de la Bretèche :
Retranscription détaillée des échanges entre Vanessa Wisnia-Weill, Karine Pérès, Romeo Fontaine, Vincent Vincentelli et Laure de la Bretèche